Le bois raméal fragmenté

Depuis longtemps on en rêvait, du BRF et de ses secrets, de l’aggradation et du mycélium, et ben c’est fait. On a 3 ou 4 cm de broyat d’élagage de la ville de Montreuil qui recouvre nos buttes depuis jeudi matin. Et maintenant, on va voir ce qu’on va voir.

Mais je sens qu’on va encore me demander des explications. Alors voilà :

Il y a vingt ou trente ans, des chercheurs canadiens de l’université Laval, à Québec, on fait (ou refait) une constatation toute simple : les sols les plus riches sur cette planète sont ceux couverts par des forêts d’angiospermes dicotylédones (c’est-à-dire les bon vieux feuillus). On l’a déjà dit, on retrouve dans ces forêts une qualité des sols et une biodiversité exceptionnelles. C’est toujours à partir de tels sols que des systèmes agricoles performants ont été élaborés. Les sols issus de forêts de résineux n’ont jamais pu être utilisés efficacement, et les régions où dominent les monocotyledones ont en général un sol propice à l’agriculture, certes, mais une agriculture plutôt extensive.

Les chercheurs canadiens, menés par Gilles Lemieux, comprennent que la richesse de ces sols est due à l’extraordinaire activité biologique qu’ont y trouve, certes, mais aussi celle qui réside dans les branches des arbres : même quand les sols sont géologiquement pauvres, que leurs composants sont violemment lessivés par un climat brutal, comme en zone tropicale, on trouve dans la canopée (la partie supérieure des arbres), une concentration extraordinaire en minéraux, en substances aromatiques, en hormones, etc.

Quand ces éléments retournent au sol, par la chute des feuilles ou la morts des arbres, ils l’enrichissent considérablement, et sont réutilisés par les autres plantes (en zone tropicale, cette réutilisation est très rapide, ce qui explique pourquoi on peut avoir une grande biomasse végétale sur un sol pauvre).

Les Canadiens se sont alors demandé si on ne pouvait pas imiter et accélérer ce processus, et ont eu l’idée de broyer des feuilles et surtout des branches (rameaux), et d’épandre ça sur des sols agricoles, pensant qu’ainsi ils auraient un engrais naturel efficace.

Ils étaient bien loin de la réalité, en fait. Bien plus que de se comporter comme un engrais, ce bois raméal fragmenté (BRF) initie dans les sols toute une série de transformations biologiques, qui reconstitue les sols les plus abîmés en quelques années, augmente le taux d’humus bien plus vite que ne le ferait le meilleur engrais, compost ou paillage. A tel point qu’il a fallu créer un néologisme, « aggradation », antonyme de dégradation, pour qualifier le processus de réparation des sols permis par le BRF.

Le BRF agit notamment en stimulant la vie biologique du sol, notamment les champignons, en libérant des substances aromatiques, des hormones, et la lignine des rameaux a une structure particulière qui est particulièrement bénéfique au sol (je passe les détails, je ne suis pas encore au point). Des milliers d’espèces de champignons bénéfiques se mettent alors à proliférer (rappelons-nous que Bourguignon insiste particulièrement sur le taux trop bas des sols cultivés en champignons). Tout ça en plus de l’apport de carbone humificateur, qu’on retrouve avec le BRF comme dans les paillages classiques, la protection du sol contre l’érosion et le dessèchement.

Le résultat de tout ça, c’est que des gens qui ont essayé le BRF, notamment sur des terres difficiles, ont eu des résultats extraordinaires (rendement supérieur aux meilleurs rendements connus, besoins en irrigation réduits à zéro, charge de travail et coûts ridicules par rapport aux méthodes classiques…). Et plus les terrains sont difficiles, chauds et secs, plus le BRF semble efficace : jusqu’à 800% de progression des rendements pour des tomates en régions arides (mais même les régions tempérées humides bénéficient d’une amélioration considérable. Outre le Canada, le BRF a d’ailleurs été expérimenté de manière importante en Belgique).

Les déchets de taille et d’élagage, et surtout de débroussaillage, dont on ne sait que faire, pourraient alors devenir une source de richesse inépuisable si elle est bien gérée (c’est-à-dire si le BRF devient une motivation supplémentaire pour accroître les surfaces boisées en feuillus). Couplé à d’autres techniques (notamment une utilisation de l’espace inspirée de la permaculture, et notamment des anciennes organisations permaculturales de ces régions), il pourrait notamment constituer une solution remarquable aux problèmes d’incendie et d’érosion dans les régions méditerranéennes.

On reviendra plus en détails sur le BRF, notamment avec une jolie fiche technique, dès qu’on aura un peu plus d’expérience pratique.

En attendant, faites donc un tour par les jardins de BRF si vous voulez en savoir plus. Voir aussi sur ce blog l’article explorer les limites du BRF.

Photos :

Brf de maquis et de chênes (chêne pubescent et chêne vert) en paillage autour d’un jeune olivier. Pigna, Hte Corse.

Le petit (mais costaud) broyeur utilisé par le Sens de l’Humus.

Détail du corps de coupe du broyeur.

Jeux dans le jardin avec le BRF : le BRF peut aussi être esthétique.

22 commentaires sur « Le bois raméal fragmenté »

  1. Bonjour, peut-on inclure des tailles de haies de lauriers dans le BRF?
    D’avance, merci

  2. le peuplier a des racines trop superficiel,comme le robinier,ou l’elaeagnus multiflora(exception:bénéfique sous le noyer),une fois adulte la symbiose avec d’autre arbres plantés à proximité est mauvaise.
    voir le site: brin de paille.

  3. « Comme les premiers systèmes agricoles se sont fait sur abattis-brûlis, le sol qui en résultait devait être très bon. »

    ça existe encore, un des intervenants que j’ai eu dans l’année nous avais fait un topos là dessus, je vais rechercher les références de ses travaux.

  4. Effectivement, ce n’est pas le peuplier qui est condamné par Chevallier, dans « planter arbres et haies », mais les peupleraies, qui ont souvent été abusivement plantées au détriment d’autres espèces.
    Des peupliers en polyculture ne posent apparemment pas de problème particulier.

  5. Le peuplier a été testé avec succès par Jacky en 2004, je ne vois aucune raison de le proscrire!
    Cela dit c’est sûr que planter des peupliers à tort et à travers dans toute la campagne comme cela a pu être fait à une époque, c’est bof, mais dans une ripisylve en association avec d’autres essences (saules, aulnes, érables champêtres, frênes…) il a parfaitement sa place…
    Quant à l’histoire qu’il acidifie les sols, j’aimerai avoir plus de précisions.

  6. Le peuplier est parmi les espèces qu’il faut éviter de planter selon « planter arbres et haies », avec l’eucalyptus et les résineux.

  7. Le BRF n’est pas facile à obtenir en grande quantité (pour ma part, élagage dans mon jardin). Par contre les feuilles mortes (chêne dans ma région) peuvent être « récoltées » en assez grande quantité et avec un temps de travail limité avec une simple tondeuse à gazon! Eviter les feuilles de peuplier qui, d’après ce que l’on m’a dit, ont tendance à acidifier les sols.

  8. On me fait quelques remarques sur le site des jardins de BRF :
    – Bien préciser que les gains en rendement exceptionnels qu’on a pu rencontrer sur certaines cultures ne sont pas dues direstement à l’amélioration de la fertilité du sol, mais surtout au fait que le BRF diminue les pertes dues à des maladies et parasites.
    – La génèse du BRF est un peu diférente : les chercheurs ont d’abord voulu utiliser les déchets d’élagage et on mis en place le BRF. Devant les succès obtenus, ils se sont interrogés sur les raisons de ce succès, et ont compris qu’on imitait le processus naturel forestier. C’est un peu moins génial, mais le résultat est le même.

  9. petite histoire myco- végétale.
     » un mycélium dit à un arbre: donne moi de l’énergie que tu captes avec ta chlorophile, moi je te décomposerai les rameaux que tu m’as donné l’automne dernier. D’accord lui répondit l’arbre, mais en échange tu me donnera les minéraux de la décomposition ainsi que des minéraux rares que tu pourra aller chercher beaucoup plus loin gràce à l’énergie que je t’ai fourni »
    Ainsi fu créer le concept micorhize.Quelle symbiose, quelle coopération, si tous les humains pouvaient faire de même!
    Ceci dit bravo Fabinoo pour ton initiative.
    Par cette petite histoire je voulais simplement mettre en évidence la symbiose qu’il y a entre la plante et les mycéliums. L’un ne peut vivre sans l’autre, ils courent le parfait amour.
    J’ai étendu 5cm de brf sur 20 m2 au mois de Juillet et aujourd’hui un tas de mycélims sont apparu dans le brf surtout dans les endroits ou les advantices sont apparues.
    J’avais aussi semé de la mâche qui a poussé à profusion et sous son feuillage un tas de mycéliums.
    Je me demande si lorsqu’on étend du brf il ne faudrait pas en même temps semer un légumineuse pour susiter la micorhize.
    Maintenant, je suis ambarassé: au printemps, si je travaille le sol, ne vais-je pas détruire les mycéliums? Si vous avez des conseils?

  10. Oui, il était livré fragmenté. Heureusement.

    Pour Korrotx : en fait, j’ai fait un petit raccourci. Il semble qu’il faille considérer l’écosystème entier. C’est ce que dit Lemieux à propos de la canopée : la richesse se trouve plus dans les branches et les feuilles que dans les sols en région tropicale. C’est donc l’ensemble feuille + végétation qui est particulièrement riche dans un système forestier. Comme les premiers systèmes agricoles se sont fait sur abattis-brûlis, le sol qui en résultait devait être très bon.

    Mettre du BRF sur une prairie continentale, c’est peut-être le top ?

  11. « les sols les plus riches sur cette planète sont ceux couverts par des forêts d’angiospermes dicotylédones (c’est-à-dire les bon vieux feuillus) »
    Ah ben merde, moi qui ai toujours cru que c’étaient les sols des prairies continentales (qui contiennent à l’hectare 10 fois plus de vers de terre, en biomasse, d’après un bouquin que je vais aller rechercher pour vous confirmer ça)

Répondre à JEANNIN

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